PHALSBOURG
21-22 novembre 44
La charge
Le 21, Quiliquini repart à toute allure, direction Mittelbronn-Phalsbourg, face au centre de la position allemande, dont il a pu jauger sur les photos la solidité : elle comporte deux systèmes complets, un à hauteur de Mittelbronn, l’autre derrière Phalsbourg, chacun avec un fossé antichars continu couvert par deux réseaux de tranchées, boyaux, postes de guet, emplacements d’armes. Sur la deuxième position, l’ennemi a coulé du béton.
La charge enlève le premier système de tranchées. Les chars dévalent à contre-pente, traversent Mittelbronn, prennent sous leur feu le fossé. On peut voir encore le char Bourg-la-Reine tombé en pointe devant Phalsbourg, et, à l’ouest de Mittelbronn, au faîte du grand glacis qui offre au défenseur un si formidable champ de tir, mais qu’ils avaient tout entier traversé, les tombes de ceux du I/R.M.T., que les gens du village entretiennent pieusement.
Là fut tué le premier officier qui au début de 1943, aux confins tunisiens, s’était présenté pour la rejoindre à la colonne Leclerc arrivant du Tchad : le capitaine Boussion.
Le général Bruhn, qui commande la 553e Division de Volksgrenadiers et qui a décroché ce qu’il a pu de la région de Blamont, est hypnotisé par cette charge. Il ne songe plus qu’à garnir ses défenses et à y faire face : il doit tenir sur place, devant Saverne, et il sait ce que signifie cet ordre. Il n’aura plus la liberté d’esprit nécessaire pour regarder au nord ni au sud et il concentrera tout son matériel, qui est encore important, autour de Phalsbourg.
Au sud, on l’a vu, c’est Dabo.
Au nord, Rouvillois donne à son mouvement une ampleur accrue. Il abandonne délibérément, et d’accord avec le Général, l’axe A : par Siviller et Petersbach il se présente devant la Petite-Pierre.
Ce trajet le mène sur les arrières d’autres unités ennemies, celles qui depuis Morhange refluaient devant le XIIe Corps américain : 361e Volksgrenadiers et 11e Panzer. Le commandement allemand essaie de les rameuter, de raccrocher en hâte un dispositif au nord de Sarrebourg : Rouvillois tombe sur des artilleurs qui se mettent en batterie. Il commence son carnage qui englobe tant d’unités diverses, de services et d’Etats-Majors que notre Deuxième Bureau renonce à les démêler.
Le défilé de la Petite-Pierre, le village qui face à la France montre ses pittoresques mais difficiles escarpements, est fortement tenu. On fait donner le canon : pendant que les fusants s’étalent sur le paysage, les chars de Compagnon forcent la place. Le groupement va y passer la nuit.
Demain il repartira, débouchera au matin dans la plaine. Une pointe poussée sur Bouxwiller y fera un carnage, mais le gros s’infléchira plein sud. Encore un dur morceau à Neuviller, un convoi annihilé à Steinbourg. La pince se fermera vers le point assigné.
Saverne
22 novembre, anniversaire de l’entrée des troupes françaises à Strasbourg.
Le Général poursuit inflexiblement sa mission. Il doit d’abord livrer Saverne.
Massu et Rouvillois convergent sur la ville. On pourrait croire qu’ils se sont chronométrés lorsque leurs premiers éléments arrivent en même temps, vers 14 h. 15, au carrefour de la sortie est.
Minjonnet, rasant la montagne, est arrivé en même temps par le sud. A Saverne il ne regarde ni ne s’arrête. A toute allure il remonte sur les Vosges vers Phalsbourg. Bientôt le revoilà à la crête, puis sur les arrières de la deuxième position allemande qui barre la trouée, où une demi-douzaine de 88, la dernière garde du général Bruhn contre nos blindés, attendent face à l’ouest, dans la tombée du jour. Le premier qui se présente, silhouette que nous avons toujours tous trouvée respectable, est mis hors de combat avant même de pouvoir se retourner par la petite Jeep qui sert de pilote à l’avant.
Le général Bruhn, pris à Saverne où il avait esquissé une défense de la ville avec ses armes de D.C.A. (nous y prendrons 800 prisonniers), croyait être victime d’une infiltration d’infanterie par les bois. Voyant qu’on l’emmenait vers l’Alsace sur des routes qui, après le passage bruyant des sous-groupements, semblaient étrangement vides, il crut d’abord à une erreur dont il se félicitait. Puis il ne put cacher son étonnement.
Le général Leclerc le reçoit quelques instants dans la vieille gentilhommière de Birkenwald, où est ce soir son P.C., cadre adéquat à ce gibier. Le boche énumère ses campagnes et ses six blessures : droit et ganté, dans son long manteau de cuir, il ponctue quelques phrases d’une légère inclination du buste : « Non, tout n’est pas perdu. » (II pensait peut-être avec nostalgie à la contre-offensive de décembre dont, on le saura plus tard, il connaissait le secret.) Sur le chapitre de l’armée russe il réaffirme la suprématie guerrière de l’Allemagne. Le général Leclerc est bien placé pour lui répondre par un acte de foi vigoureux et spontané en la suprématie du génie français, ce qui termine l’entretien.
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)