De Paris à la Meurthe
8 septembre – 23 octobre 1944
Le 8 septembre au matin, la division commence à quitter Paris vers l’Est, Provins et Nogent-sur-Seine.
Le GTL est en tête, juste précédé par une avant-garde, le GT léger R (reconnaissance Roumiantsoff composé d’automitrailleuses, de quelques fantassins et quelques Tank Destroyer du RBFM). La veille au soir la division a reçu ses ordres. Elle réintègre la IIIe armée de Patton dont elle sera l’élément le plus au sud. Elle appartient de nouveau au XVe ÇA du cher général Hairslip, dont le commandement a été tant apprécié par le général Leclerc en Normandie.
La division doit couvrir la concentration du corps d’armée, et protéger le flanc sud de la IIP armée en bloquant l’avance ennemie entre Montargis (exclu) et la Marne, au nord de Chaumont, incluse.
Deux faits vont marquer la période qui s’ouvre : la situation opérationnelle allemande et la situation logistique américaine.
Les Allemands sont en pleine retraite. Les forces allemandes du centre et du sud-ouest de la France sont menacées d’être encerclées par la progression alliée de Normandie vers l’est de Paris, et par la remontée par la vallée du Rhône du groupe d’armées Devers {VIF armée US du général Patch et 1″ armée française de de Lattre). Les Allemands s’efforcent de faire sortir de la nasse le maximum de force par le couloir maintenu ouvert dans le quadrilatère Dijon-Autun-Avallon-Chaumont. Ils tentent également de reconstituer à l’est un front derrière la Moselle, couvert par quelques points solidemeni tenus : Langres-Chaumont-Andelot-Ncufchâteau. Ils poussent dans la région de Saint-Dié des renforts destinés à reconstituer une XIX’ armée qui recueillera les restes de la 2ème armée s’échappant du centre et du sud-ouest de la France.
La situation logistique alliée devient difficile en raison de l’allongement des lignes de communication. Carburant et munitions doivent arriver de Cherbourg par convois. En outre, Eisenhower décide de donner priorité à l’effort vers le Nord mené par Montgomery et Bradley avec la 1™ armée US (Hodges) en direction d’An vers-Bruxelles et la Hollande.
L’offensive de Patton vers l’Est s’en trouve d’autant entravée. C’est donc sous le signe de la pénurie d’essence que la division Leclerc va opérer en septembre et octobre.
Quelques chiffres sont nécessaires pour comprendre l’importance du ravitaillement en carburant. L’unité d’essence divisionnaire, c’est-à-dire la quantité nécessaire aux 4 700 véhicules de la division pour parcourir cent kilomètres, est de l’ordre de 250 000 litres sur route et peut atteindre des quantités supérieures et très variables en tout terrain, montant jusqu’à 400 000 litres, soit entre 2501 et 4001, l’équivalent d’un convoi de 100 à 175 camions GMC. Au combat, où le parcours kilométrique peut être infime, mais où les moteurs ne cessent de tourner, la consommation journalière pour une unité engagée reste du même ordre que pour parcourir 100 km dans la journée, soit pour la division, en moyenne 300 000 litres, soit 300 t, et pour un GT, de l’ordre de 75 t: D’autre part, le temps va vite devenir pluvieux et la boue lorraine va ralentir le rythme des opérations et accroître les consommations.
Compte tenu de la situation et des instructions reçues, l’intention du général est de :
– porter en avant vers Bar-sur-Aube le GTL parti le premier de Paris, couvert sur la Marne par le GTR léger (reconnaissance Roumiantsoff);
– placer le GTV vers Villeneuve-l’Archevêque pour couvrir le XV corps d’armée et la IIIe armée US contre toute action allemande venant du sud;
– faire suivre le GTD en position centrale.
Le 10 septembre au soir, la division reçoit alors l’ordre du XV CA : « A partir du 11 septembre, attaquer en direction d’Ëpinal pour s’emparer dans cène région de la rive ouest de la Moselle, assurer la protection du flanc sud du corps et de l’armée d’Auxerre à Chaumont, puis au-delà de Chaumont. •
L’intention de Leclerc pour exécuter cet ordre est de : laisser le GTD en couverture sud entre Auxerre et Chaumont, centré vers Châtillon-sur-Seîne; par ailleurs, percer la ligne de défense ennemie dans la région Andelot-Prez-sous-Lafauche ; déborder les centres de résistance ennemie sans s’y laisser accrocher; bref, progresser le plus rapidement possible en gagnant les arrières ennemis et en s’interposant entre la 79* DI US se dirigeant vers Charmes et les blindés allemands signalés vers Épinal-Saint-Dié.
Le 11 septembre au matin, le GTR passe la Marne et tâte Andelot reconnu tenu. Le GTL quitte la région de Bar-sur-Aube, s’infiltre dans les zones boisées à l’ouest de la Marne, traverse cette rivière sur des ponts de fortune remis en place par les FFI locaux, et déborde Andelot par le nord. Le GTL est articulé en deux groupements, comme en Normandie et à Paris, Minjonnet au nord, Massu au sud. Ainsi entame-t-il sa marche vers Êpinal, soit 155 km à parcourir, après les 240 km parcourus les jours précédents depuis Paris. C’est dire qu’il va convenir de suivre de près les consommations d’essence alors que le ravitaillement suit mal.
Massu trouve au nord d’Andelot la voie libre. En revanche, Minjonnet doit bousculer des résistances à Prez-sous-Lafauche. Il le fait très vite et le GTL s’engouffre entre le groupement Ottenbacher au sud qui tient Ande-lot et Chaumont et la 16e DI allemande qui tient Vittel, Neuf château et Mirecourt.
Au sud de Chaumont, le GTD se met en place en couverture à Chàtil-lon-sur-Seine et Châteauvillain, d’où il pousse vers le sud des patrouilles actives contre les unités allemandes en retraite. Derrière, le GTL, le GTV passe la Marne et tâte Andelot.
Dans l’après-midi du 11 septembre, le GTL accélère sa progression. Massu s’empare de Bourmont et malgré une vive résistance allemande prend pied dans Contrexéville. Vittel est reconnu occupé et fermement défendu.
Pour attaquer Vittel le 12 au matin, Langlade fait roquer Minjonnet du nord au sud par Contrexéville pour attaquer les arrières de Vittel par le sud et faciliter l’attaque de cette ville par Massu.
Il s’en fallut de peu que la progression du GTL soit arrêtée le 12 par pénurie d’essence : heureusement le 12 au matin arrive un convoi divisionnaire de ravitaillement qui a franchi dans la nuit la zone libérée en contournant Andelot, toujours tenu par les Allemands. Il rejoint vers 7 heures Vrécourt, à 15 km ouest de Contrexéville, au PC avant du général Leclerc.
Celui-ci suit en effet au plus près la progression du GTL. Le 10 septembre, il prend lui-même liaison au PC du XV corps au nord de Bar-sur-Aube pour y recevoir ses ordres de mouvement en avant. Le 11 septembre, il se porte derrière le GTL à Vrécourt. Il voit arriver avec joie le convoi de ravitaillement nécessaire pour poursuivre le mouvement avec l’assurance de ne pas tomber en difficulté au milieu de combats probables lors d’une rencontre avec les forces allemandes à Vittel et sur la Moselle.
Le 12 au matin, Leclerc gagne Contrexéville et rejoint Massu au moment où celui-ci discute avec Langlade de la manœuvre à monter pour s’emparer de Vittel. Dans l’après-midi il gagne Vittel à peine libéré. Depuis quatre ans l’établissement thermal abrite un camp d’internés de 3 000 personnes, principalement des femmes anglaises et américaines. Le général décide aussitôt de s’y rendre. Il s’en fait ouvrir les grilles. Il est reçu par un capitaine anglais en uniforme et un civil américain. Le général demande au capitaine s’il vient d’arriver.
Pas du tout, répond l’Anglais, je suis là depuis quatre ans. Je vous attendais.
Il propose au général de voir les internés français.
Non, répond Leclerc, je veux voir tout le monde. En 1940 nous avons été reçus admirablement par les Anglais. Des Américains nous ont donné des armes. Nous sommes particulièrement heureux qu’il nous ait été donné de vous délivrer.
Il est accueilli par toutes et tous avec joie et grandes gesticulations.
Le 12 au soir, le PC avant se porte à 5 km est de Vittel à Valleroy-le-Sec, à 10 km derrière le quadrilatère de Dompaire-Damas-Vilie-sur-Illon-Begnécourt où va se livrer demain une des grandes batailles de l’histoire de la division. On ne le sait pas encore mais Langlade, Minjonnet et Massu sentent par le contact pris le 12 en fin d’après-midi qu’ils font face à un ennemi blindé fort.
Entre Vittel et Ëpinal, la vallée encaissée de la Gitte coupe leurs routes, à Damas au sud pour Minjonnet, a Dompaire au nord pour Massu. En approchant de la Gitte, le 12 septembre en fin d’après-midi, les reconnaissances des deux sous-groupements décèlent, sur les crêtes dominant la petite rivière, des mouvements de chars allemands, qui sont identifiés dans le jour finissant comme des Panthers Mark V. Des coups sont échangés; quelques-uns sont heureux et deux Panthers au moins sont détruits et d’autres endommagés. Massu et Minjonnet obligent les Pamhcrs à redescendre dans la vallée et s’installent sur les bords des crêtes qui dominent la rivière et les villages de Dompaire et Damas.
La progression rapide du GTL au cours des journées des 11 et 12 septembre a permis de surprendre la 112′ Panzer Brigade venant de Saint-Dié et Ëpinal.
Voyons l’échelonnement de la division à la fin de cette journée du 12 septembre.
Le GTV, 60 km derrière le GTL à l’aube, franchit la Marne à son tour. Billottc décide d’investir Andclot solidement tenu. Il le fait encercler par ses trois sous-groupements, La Horie, Cantarel et Putz, de composition sensiblement analogue : une compagnie de chars moyens Sherman, une compagnie d’infanterie, une batterie d’artillerie, II lance, comme à Paris à von Choltitz, un ultimatum au colonel allemand qui tient la place. Réponse négative. Billotte fait donner l’assaut. L’affaire est vite menée et se termine à 15 h 30. Les Allemands ont 300 tués et laissent 800 prisonniers entre les mains du GTV. Cantarel reste à Andelot.
La Horie pousse aussitôt sur Vrécourt et Vittel qu’il occupe la nuit du 12 au 13, alors que le GTL qui s’en est emparé le matin l’a quitté pour se porter tout entier devant la vallée de la Gitte à Dompaire-Damas.
Au sud-ouest et 60 km derrière, le GTD poursuit sa flanc-garde active au sud de Chaltillon-sur-Seine. II lui revient, dans cette même journée du 12 au 13 de prendre liaison à Nogent-sur-Seine, à 15 km de Châtillon-sur-Seine, avec la 1ère Armée française, qui a débarqué en Provence.
Entre Nogent-sur-Seine et Dompaire, points extrêmes du déploiement de h division, la distance à vol d’oiseau est de 150 km. Tel est alors l’allongeant de la division dans sa double mission d’offensive en direction de la Moselle au nord d’Épinal, et de flanc-garde sur la Seine.
Quatre jours après le départ de Paris et de ses délices, la division a repris sa mobilité.
Dompaire, dans la vallée de la Gitte, est à 300 km de Notre-Dame à vol d’oiseau.
(Source : Général Jean Compagnon – « LECLERC »)
Le peloton Daruvar, du 3e RAC, stoppé le long d’une route, début septembre 1944